Le paradoxe du pire
- elmano endara joseph
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Par : Mitchel Kewing ÉTIENNE

Dans un Port-au-Prince fracturé entre bidonvilles en feu et quartiers armés, les déplacés internes pissent la misère, la gangstérisation devient norme à écho perturbant, la misère un refrain resonnant, et la résignation un art national des gouvernés en quête de sécurité, et puis viennent des promesses électorales.
En Haïti, le gouvernement court après les urnes comme on court après un mirage. Les déplacés, eux, dorment sans toit. La misère devient slogan, la souffrance décor de campagne. Promettre un toit pour un vote : voilà la nouvelle morale publique qui se fait de plus en plus menaçante. Et la population, las, confond encore la clef du mensonge avec celle de sa maison perdue, de ses enfants privés de pain de l'instruction.
Le « gang », la gangstérisation de la masse — celle des bidonvilles — devient le tube du moment, le track qui fait vibrer les couloirs irritants d’une population bouffie face à un État qui serre la main sans répit à l’impunité. Le haut de la capitale ? C’est ce qui excite les partis politiques : devise tacite : le bas de Port-au-Prince aux gangsters, le haut aux électeurs, aux bourgeois sans front ni vergogne, au Conseil Perte de Temps qui juge en faveur d’un fiasco électoral.
Le malheur des uns fait souvent le bonheur des autres : boissons coulées à flot, week-ends VIP, immunité, la fête se donne. Pendant ce temps, l’État parasitologue en Haïti livre son verdict : les déplacés suffoquent, voient leurs maigres porcs gras être ravis ; les gangs font de la loi un commerce, au profit de la loi de l'inconnu, au détriment de la population. Tête droite vers les élections.
Infectée d’une corruption épicée à la cupidité, l’administration publique suffoque sous le coup des coureurs de dollars amusés, au service d’une jeunesse gâtée, fatiguée d'attendre l'avenir, d’une population résiliente d’apparence, mais meurtrie par des calvaires innommables : misère, impunité, abandon. Et puis, du train que ça va ! Vers les joutes électorales.
Pendant que les déplacés internes sont chassés, abusés, malmenés, dépouillés par des scélérats de gang, une parade d’ordre royal s’affiche : d’un côté, les salutations cordiales du Colonel Campagne Électorale ; de l’autre, le rejet silencieux d’une population en agonie, prête à croire que le vote ramènera les « maisons ». Visiblement, quand on rêve d’un toit, on se méfie peu de mots, surtout quand ils sentent la maison.
Mais jusqu’à quand ? Jusqu’à quand faudra-t-il mendier la dignité sur les marches des promesses creuses ? Jusqu’à quand allons-nous courber l’échine sous les discours en costume, pendant que nos enfants dorment à même le sol, les ventres vides de pain et pleins de peur ? Il ne s’agit plus de voter, ni même de croire : il s’agit de réveiller en bin citoyen. De dénoncer sans relâche. De briser le silence complice. De mettre fin à cette mascarade où les bourreaux dictent la loi et les victimes s’effacent dans la poussière sous les tentes. Car une nation ne se reconstruit pas avec des pancartes électorales, mais avec du courage, de la justice sociale, et cette colère saine qui refuse de devenir habitude.



